
Titre : Sa préférée
Autrice : Sarah Jollien-Fardel
Édition : Sabine Wespieser
Parution : Août 2022
Nombre de pages : 208
Dans ce village haut perché des montagnes valaisannes, tout se sait, et personne ne dit rien. Jeanne, la narratrice, apprend tôt à esquiver la brutalité perverse de son père. Si sa mère et sa sœur se résignent aux coups et à la déferlante des mots orduriers, elle lui tient tête. Un jour, pour une réponse péremptoire prononcée avec l’assurance de ses huit ans, il la tabasse. Convaincue que le médecin du village, appelé à son chevet, va mettre fin au cauchemar, elle est sidérée par son silence.
Dès lors, la haine de son père et le dégoût face à tant de lâcheté vont servir de viatique à Jeanne. À l’École normale d’instituteurs de Sion, elle vit cinq années de répit. Mais le suicide de sa sœur agit comme une insoutenable réplique de la violence fondatrice.
Réfugiée à Lausanne, la jeune femme, que le moindre bruit fait toujours sursauter, trouve enfin une forme d’apaisement. Le plaisir de nager dans le lac Léman est le seul qu’elle s’accorde. Habitée par sa rage d’oublier et de vivre, elle se laisse pourtant approcher par un cercle d’êtres bienveillants que sa sauvagerie n’effraie pas, s’essayant même à une vie amoureuse.
Dans une langue âpre, syncopée, Sarah Jollien-Fardel dit avec force le prix à payer pour cette émancipation à marche forcée. Car le passé inlassablement s’invite.
Sa préférée est un roman puissant sur l’appartenance à une terre natale, où Jeanne n’aura de cesse de revenir, aimantée par son amour pour sa mère et la culpabilité de n’avoir su la protéger de son destin.
Lecture percutante et bouleversante. Sarah Jollien-Fardel avec son premier roman pousse un cri de détresse. Elle ne nous laisse pas le choix, elle nous fait tendre la main vers Jeanne. Cette main que l’on ne veut pas lâcher, que l’on veut tirer vers la lumière. Jeanne, j’ai voulu la prendre dans mes bras pour lui dire que tout irait bien.
Peut-on se libérer de son passé ? Ou sommes nous enchaînés à lui quoi que l’on fasse ? Un père violent et sadique, des coups qui pleuvent sur sa mère, sa soeur et sur elle. Pourtant elle tient tête, elle se rebiffe, elle n’a pas envie que cela soit une fatalité. Mais que peut-on faire quand on a 8 ans et que même les adultes que l’on considère comme des « héros » se taisent et ferment les yeux ?
On s’enfuie… On trouve un exutoire… Pour Jeanne, ce sera nager dans le Lac Léman… Mais la fuite est-elle la solution ? Pourquoi alors la culpabilité ronge t’elle à ce point ? Pourquoi revenir sans cesse sur cette terre qui à causé autant de souffrance et de malheur ?
Beaucoup de questions posées par Sarah Jollien-Fardel qui grâce à une écriture glaçante et pleine de sensibilité m’a bouleversé. Un roman qui marque, un roman qui m’a fait pleurer, un roman que l’on oublie pas.
Lu pour #1mois1paysenlivres et mon voyage en Suisse.
J’apprivoise le lac d’abord par le regard. Je marche d’Ouchy à Lutry sur les rives. Je rêve de m’élancer franchement dans l’eau, mais j’ai peur. Je ne me suis jamais immergée ailleurs que dans un bassin chloré. Lorsque j’ose enfin, la sensation est forte, elle soulève ma poitrine d’une joie brève et dense, je suis gaie, soulagée d’être loin de là d’où je viens. Cent kilomètres. Une peccadille. Pourtant, l’un après l’autre, ces kilomètres ont poli mes origines jusqu’à les rendre invisibles. En surface. Durant des semaines, j’ai apprivoisé le Léman à coups de brasse. À chaque fois, le saisissement, les picotements aux pieds, sur les cuisses, le ventre, puis plier les jambes et glisser, bras tendus.
Ma note : 10 / 10
Lecture terminée le 13 août 2024