Aventures en Loire

La Loire n’est pas seulement indomptable, elle est excentrique. Pas capricieuse : elle sait ce qu’elle fait, j’en suis sûr. Là-haut, dans le mont Gerbier-de-Jonc, sur la ligne de partage des eaux, elle avait choisi de tomber du côté de l’Atlantique. La pente l’envoie t’elle plein sud ? Qu’à cela ne tienne, à Rieutord, elle fait un virage à 180 degrés. Elle ne sera ni un affluent du Rhône ni un petit fleuve méditerranéen ! Elle a d’autres ambitions. La voilà repartie plein nord. Plus loin, vers Orléans, alors qu’elle semblait devoir se jeter dans la Seine, elle changera encore d’avis et partira résolument vers l’ouest. C’est évident, elle mènera seule, de son côté, sa vie de jeune fille avant d’épouser l’océan Atlantique.

La Loire, ma Loire, Bernard Ollivier l’a parcourue en canoë, 1000 kilomètres le long de cette indomptable. 1000 kilomètres à apprendre et à lire ce fleuve sauvage. 1000 kilomètres à faire des rencontres improvisées ou non.

Sacré aventure qu’entreprend cet écrivain voyageur, il a 70 ans quand il se lance dans ce périple, peu préparé, n’ayant jamais fait de canoë avant, mais déterminé à se prouver que malgré l’âge tout est possible. Après tout ses voyages, j’ai aimé la modestie et l’innocence dont il a fait preuve dans cette descente de la Loire. Deux qualités absolument nécessaire pour s’adapter à ce puissant fleuve.

« On n’y peut rien, la Loire est changeante et toute-puissante ». Avec cette sauvage, on peut craindre le pire ou espérer le meilleur. Imprévisible, elle n’en fait qu’à sa tête.

Suivre Bernard Ollivier, c’est forcément découvrir cette Loire si passionnante, toute la Nature qui l’environne, la faune et la flore si diversifiée tout du long. Mais c’est également partir à la rencontre de gens rencontrés parfois par hasard qui sont amoureux de leur fleuve, qui partage sans concession cet amour et ce qu’ils savent sur ce puissant cours d’eau. Peu importe où nous nous trouvons le long de ses 1000 kilomètres, la Loire ne laisse pas indifférent.

Sa chaire est son bateau, son sceptre la rame qu’il agite debout dans le canoë, la Loire son domaine. Il sait tout, entend tout, voit tout ce que, pauvres aveugles, nous ne pourrions découvrir s’il ne soulevait le voile. Ce cri, c’est celui d’un guépier d’Europe, de couleur bleue, le plus bel oiseau de Loire, nous dit-il. Ici, cette trace dans le sable, c’est le passage d’un ragondin, mais cette autre, plus large, a été provoquée par la queue d’un castor, une troisième révèle la présence d’une loutre.

Forcément, j’ai aimé lire ce récit, j’y ai découvert d’autres facette de ce fleuve que j’aime tant. En plus avec ma Chérie, nous avons comme projet de faire la Loire à Vélo alors cette lecture est une motivation de plus.

La Loire est un fleuve-trinité. Elle a trois sources, au moins : la « véritable », « l’authentique » et la « géographique », toutes trois rassemblées au pied du mont Gerbier-de-Jonc. Un drôle de nom. À l’école, nous disions « Gerbier-des-Joncs », tant il apparaissait évident qu’il y avait plus d’une tige au pied du mont en question. Mais les cartes sont formelles, il n’y a qu’un jonc. C’est là que je me trouve, sans aucune erreur possible.

C’était sans compter avec la Loire. Elle ne se laisse jamais oublier. Elle a le sens de l’actualité. De temps à autre, elle gronde, enfle, casse, noie. Dans les années 1980, une bataille furieuse, entre partisans et adversaires d’un nouveau barrage, avec Jean Royer le maire de Tours en bétonneur et des associations regroupées sous la bannière de SOS Loire vivante, a longtemps tenu l’affiche. Le combat a tourné à l’avantage des écolos. On a renoncé à civiliser le dernier fleuve sauvage français et, dit-on, le plus grand d’Europe. « Sauvage » ? Ça me va bien. Prenant sans cesse des déguisements, La Loire-torrent, la Loire-châteaux, la Loire-usines, la Loire-nucléaire, la Loire-Atlantique se rappelait de temps en temps à mon souvenir, par les évènements dont elle est prolixe.

Mes musées à moi, ce sont les hauts fûts des arbres centenaires ou les à-pics vertigineux des montagnes, mon cinéma, le vol anarchique d’un papillon au-dessus d’un coin de prairie ou les ondulations lascives d’une truite dans l’attente patiente d’une proie.

La vision du château se reflétant sur la surface lisse comme une peau, d’une immobilité totale, est magique. L’eau du fleuve, plus chaude que l’air frisquet ambiant, s’élève doucement en volutes qui enveloppent arbres et murs d’un léger brouillard mélancolique. Le minuscule castel, démultiplié par le miroir liquide, à moitié mangé de brume, semble tout droit sorti d’un conte de fées.

Tout d’abord, en période de crue, un amas de sable se forme derrière l’obstacle apporté par le fleuve, la plupart du temps un arbre ou une souche. Sur ce monticule, durant les basses eaux, quelques plantes vont pousser et fixer l’humus sur lequel des arbustes prendront racine avant de devenir des arbres capables de résister aux crues. Le fleuve va alors les contourner, élargir son lit pour se frayer un passage. Et c’est ainsi que la Loire n’est jamais semblable d’une année à l’autre, d’une décennie à l’autre. Elle crée des lits latéraux, les « boires » qui s’assèchent en été mais reprennent vie aux fortes eaux d’automne et de printemps.

Lecture terminée le 4 juillet 2024


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