
Titre : Du fond de ma cabane
Auteur : Jean Désy
Éditions : Bibliothèque Québécoise
Parution : 2021
Nombre de pages : 152
À travers quatorze textes, qui sont autant de méditations sur la vie en forêt, Jean Désy partage ses réflexions et ses émotions, celles qui surgissent quand le monde prend son sens ultime dans le silence de la nuit, dans la clarté d’un petit matin ou même pendant la tempête. Du fond de ma cabane exprime une vision du monde, une façon sacrée de voir le moment présent, certes, mais aussi l’avenir, celui des humains dans leur rapport avec la nature.
Écrites au «vous» , les méditations de Jean Désy se déploient à la fois comme un mantra et une invitation à habiter cette cabane imaginaire où le temps s’arrête, où il est possible de reconnecter avec soi et ce qui nous fonde en tant qu’humain.
Jean Désy, j’ai envie de le découvrir et de le lire depuis que Camille nous en a parlé au mois de février après avoir lu son recueil de poésie Ma nature poétique. J’ai donc été ravi qu’elle nous le propose pour la lecture commune de mai de son Challenge #mes5lecturesprintanieres. Vous l’avez certainement compris vous qui me suivez par ici, j’aimerais fortement vivre dans une cabane au milieu des bois, j’étais donc très curieux de lire ce livre.
Ici, pas de poème, même s’il y a beaucoup de poésie dans la manière d’écrire de Jean Désy, plutôt une sorte d’essai philosophique, un recueil de pensées et d’interrogations sur soi, sur l’homme, sur la vie. Jean Désy nous partage ses méditations et ses réflexions sans faux-semblant, avec intelligence et honnêteté.
Au début de ma lecture, j’ai été assez surpris par le « vous » employé par l’auteur. Comme une impression d’être pris à partie, je dois dire que ce fut assez perturbant. Ensuite, passé les deux premiers textes, j’ai compris qu’avec ce « vous » Jean Désy s’interroge autant qu’il nous interroge.
La place de l’homme, son impact sur la nature, le retour à une vie simple, ce qu’est la liberté, la vie, la mort, le monde, l’âme, l’amour, le sens de la vie… Autant de réflexions proposées par Jean Désy. Il ne cherche pas forcément à y répondre, du moins, il nous délivre son point de vue, mais il se pousse et nous pousse à réfléchir.
C’est le genre de livre qui offre à chacun de nous une lecture très personnelle. Je sais qu’en ce qui me concerne, je vais le garder précieusement à portée de main et m’y replongerais quand le besoin s’en fera sentir. Alors plus que mes mots, je préfère vous partager quelques extraits qui parmi tant d’autres ont retenu mon attention.
Une phrase revient sans cesse vous hanter: donner un sens à son existence. Toujours en grand risque de perdre le sens, vous cherchez votre souffle. À tout instant, il vous faut créer du sens autour de vous, sinon c’est l’angoisse, vous êtes submergé par l’idée du néant, par le néant lui-même. Alors, les doutes, les frissons, les questionnements premiers de l’enfance reprennent le dessus. Et si tous ces lacs, toutes ces rivières, toutes ces lumières du monde étaient vides de sens?
Vous vivez dans une cabane pour ne pas vous soumettre sans combattre au monde postmoderne.
Vous habitez une cabane pour mieux y aimer les vôtres, les enfants comme les inconnus qui y viennent, pour mieux accepter la condition humaine, ici et maintenant, sur terre, sans autres ressources que celles de la nature profonde de l’Etre.
Votre rapport aux arbres de la forêt boréale, aux plantes de la toundra, aux tendres lichens, aux canneberges et aux bleuets, aux mousses rouges et brunes, aux aiguilles de pin, aux brisures des écorces et aux nervures des feuilles, ce rapport a toujours été affectif. Vous vouliez connaître le nom des arbres et des plantes que vous croisiez, qui parfois vous étaient utiles, parfois non, mais que vous trouviez beaux, qui vous fascinaient ou qui vous troublaient sans raison apparente, comme l’impatiente du cap qui possède une fleur en forme de corne d’abondance et que l’on trouve au bord des ruisseaux. Elle dirige l’éperon de sa fleur orangée vers le bas, vers l’eau et la boue, comme si elle avait soif.
Minuscule et perdue dans la masse de son feuillage délicat, elle est si discrète qu’il faut la chercher pour l’apercevoir. Mais l’orangé des sous-bois ne saute pas aux yeux des daltoniens; la beauté suprême d’une fleur d’impatiente parvient de justesse à leurs centres de l’émotion, situés quelque part entre les lobes frontaux et l’hypothalamus.
Vous aviez souvent parlé au vieux merisier. Il vous était parfois arrivé de vous tenir près de lui, seul, et de caresser son écorce, de vous confier aux lignes de force de son tronc. Quand vous l’avez pour ainsi dire «soigné», vous l’avez une nouvelle fois caressé, comme pour le rassurer sur son sort. Vous lui parliez comme à un ami, c’est un peu idiot, mais cet arbre, situé au coin de la maison et dont on apercevait les branches par la fenêtre du salon, avait la plus grande importance pour vous. Importance tout à fait irrationnelle, mais depuis, après réflexion, vous estimez que ce sont les coups de cœur, les élans d’amour irrationnel, qui comptent le plus.
Le poids de la liberté est tellement lourd, voire même insoutenable, que les humains se sont inventé des métiers, des obligations et des règlements de manière à se départir, en partie du moins, de cette bombe à retardement que représente la liberté.
Les poètes, dans leur quête toujours inachevée, ont cette intuition que les livres et la parole qu’ils contiennent ne sont que des enveloppes matérielles.
Les mots se perdent avec le vent. Au bout de la vie, ce n’est que la tendresse vécue qui garde son importance, dans le silence et la tendresse des amours assumées.
La parole, les milliards de mots, la musique et les milliards de sons ne servent peut-être à rien d’autre qu’à révéler une part de l’Âme du monde dont les humains font partie, qui est en eux et les englobe en même temps. Parfois, il arrive que se réalise la communion des âmes. Tout à coup, c’est l’harmonie. Les passions se taisent. L’envie d’être autre chose qu’un simple élan du cœur s’apaise. Lors de ces instants de grâce, on profite de l’ineffable affection des êtres capables de donner. À ce point culminant de la vie, quelle joie de jongler avec l’inutile du monde!
Quelle joie de sentir qu’on participe à un mystère quasiment impossible à nommer, ce mystère étant tout entier contenu dans le silence de l’Âme du monde!
Il vous prend parfois l’envie de vous changer en aiguille d’épinette. De votre chute, après quelques saisons douces ou violentes, de votre mutation en humus, en atomes d’azote et de carbone, naîtrait une autre plante, puis une autre, puis une autre encore.
Parfois, vous ne souhaitez qu’une chose: devenir l’eau que vous avez bue, la framboise que vous avez goûtée, rien de plus, rien de moins. Vous songez alors à l’immortalité.
Ma note : 08 / 10
Lecture terminée le 26 mai 2024