
Titre : Une immense sensation de calme
Autrice : Laurine Roux
Édition : Folio
Parution : Le 4 juin 2020
Nombre de pages : 144
«Cela dure un instant ou de longues minutes, je ne saurais le dire. Le regard d’Igor abolit mon être. Partout dans mon corps mille particules soulèvent mes membres, et c’est à la fois de la peur et de la glace, du miel et de la lavande.»
Au cœur d’une étendue enneigée, une jeune fille rencontre Igor, un être aussi étrange que magnétique. Presque sans échanger un mot, elle va le suivre à travers une nature souveraine et hostile, portée par ce que la jeunesse a d’insolence. Mais plus elle semble proche d’Igor, plus le mystère qui l’entoure s’épaissit. Jusqu’à ce qu’une tempête les précipite tous deux dans la tourmente, révélant les légendes et les souvenirs de ceux qu’illumine le côtoiement permanent de la mort et de l’amour.
Voici un petit livre que je n’aurais sans doute jamais lu sans Camille qui m’en a parlé et qui l’a également lu. Bon, un roman qui parle d’amour, avec un ours et une cabane sur la couverture, que des éléments qui ne m’ont pas fait hésiter très longtemps. Ce fut une lecture assez particulière pour moi dans la manière dont je l’ai abordé, mais en y repensant pour écrire cette chronique, je me rend compte qu’elle m’a procuré de belles émotions.
Mon corps s’ébranle, petit à petit la peur se dissipe. Je marche et tout mon être dit oui. Oui à ses yeux, oui à ses mains, oui à la surface totale de sa peau. Oui à son odeur, à ses gestes. Je me plie invisiblement à tout son être, à son passé et à son futur. Au-delà, je dis oui à tous les endroits où il m’emmènera ainsi qu’à tous ses désirs, quelles que soient les folies où cela me conduira. Je suis à la fois faible, aveugle et infiniment pleine.
Je ne pouvais commencer à vous parler de ce court roman sans vous partager cet extrait. Un coup de foudre, l’amour qui prend possession de l’être sans que celui-ci s’y attend. La rencontre qui change une vie. J’ai eu la chance de vivre cette expérience, du coup ce passage m’a directement touché au coeur. Laurine Roux nous parle d’un amour inconditionnel entre deux êtres, une évidence, l’acceptation d’être deux mais en même temps d’être un Nous. C’est vraiment ce qui m’a marqué dans cette lecture.
Nous restons longtemps debout autour de l’ourse. La tristesse épaissit l’air ; on le sent peser sur nos épaules. Nous formons tous trois un bloc de chagrin. Tochko aspire la mort de la bête et cela l’anéantit. Igor aspire l’anéantissement de Tochko et cela le rend bouillant. Moi, j’aspire la chaleur d’Igor pour qu’il n’explose pas telle une cocotte-minute. Et cela me terrasse. C’est ainsi.
Laurine Roux ne se contente pas seulement de parler de l’amour d’une femme envers un homme. Non, avec une plume pleine de poésie, elle nous parle de l’amour des uns envers les autres, de l’amour pour la Nature et de l’amour que nous devrions tous avoir envers le Vivant. C’est un roman écrit un peu à la manière d’une légende. Je dirais même une légende dans une légende. Il y a un moment dans le roman, où, Grisha une ancienne prend la parole et elle vient éclairer et donner du sens à ce conte nourrit de noirceur mais également de lumière.
La douceur de Pavel paraissait nourrie au souvenir des temps anciens. De ceux où les ancêtres n’avaient pas de cabanes et se déplaçaient avec leurs troupeaux de campement en campement. Lorsqu’il fallait tuer un animal, les femmes le faisaient boire et manger pour qu’il ne manque de rien lors du Passage. On choisissait le meilleur guerrier pour égorger la bête, et l’homme lui demandait pardon. Il orientait le couteau vers le ciel pour ouvrir le chemin de son âme. Ensuite il faisait ce qu’il avait à faire.
Les silences… C’est quelque chose qui m’a frappé dans cette lecture… Je parlais de Grisha un peu plus haut… En fait voilà comment j’ai vécu cette lecture… L’impression d’être en Sibérie ou en Russie (nous ne savons pas trop où se déroule l’histoire), assis autour d’un feu de camp, devant une cabane, à écouter cette Ancienne nous raconter son histoire, sa légende… Je me suis projeté en train de l’observer à travers les flammes, prendre son temps, se murer dans des silences la ramenant dans son passé, voir à travers ses yeux, l’ourse, les Invisibles…
Jusqu’à ce qu’elle apparaisse. La mer. Noire et offerte à la nuit, livrée à la lune et au vent, vaste étendue frangée de montagnes, théâtre de la rencontre des colosses, du choc des titans, la mer venant incessamment frapper la pierre, les murs de roche s’opposant à ses attaques tels des gardiens de terre élevés au-dessus de l’eau.
Ma note : 09 / 10
Lecture terminée le 29 février 2024